- Présente-toi.
Je balayai du regard l'assemblée. J'avais beau n'avoir que dix-sept ans, mes yeux appuyés d'un large trait d'eye-liner noir défiaient tous les dresseurs alentours sans la moindre pointe d'effroi. D'une voix assurée et résonnante dans cet antre secret, je débutai ma présentation.
- Je m'appelle Zyra …
- Tu dois pas souvent être la première de l'alphabet ! fit un rouquin plus vieux que moi avec une mine sournoise.
Connard, pensai-je très fort. Mais j'étais en période d'essai. Je ne pouvais rien dire.
- Zyra McDonald et je …
- Ça fait un peu nom d'enseigne de bouffe dégueulasse, commenta poil-de-carotte en riant.
- Oh la ferme ! Je rétorquai, fatiguée de son comportement. Je peux finir ou c'est trop te demander ?
Les quelques personnes présentes à mon entretien se regardèrent tous avec des mines désabusées. Certains ouvraient la bouche, pantois, tandis que d'autres cachaient un rire qui n'était pas de circonstance. L'homme aux cheveux roux allait de nouveau renvoyer une pique mais le responsable l'interrompit.
- En voilà une petite de caractère. Comment une si petite gamine peut-elle être aussi sûre d'elle ?
Alors je commençai mon histoire.



Cheveux blonds en bataille, dents serrées et poings fermés, je regardai dans le miroir cette gringalette qui n'avait comme arme d'une peluche en forme de Stari. Elle devait avoir dix ans, tout au plus, mais ses yeux étaient très noirs et ses sourcils toujours froncés. On toqua à la porte, et ni une ni deux je quittai des yeux mon reflet pour aller donner un coup de pied dans la porte. Une voix féminine m'ordonna de me calmer mais je lui répondis – avec mon lexique de l'époque déjà bien fourni – d'aller se faire mettre ailleurs. La porte s'ouvrit alors brusquement et la grosse dame se planta devant moi.
J'éclatai aussitôt en larmes.
La grosse dame – comme j'aimais énormément l'appeler – vint me prendre dans ses bras. La tête enfouie entre ses énormes seins, je me laissai à sangloter. Je n'étais qu'une petite fille après tout, j'avais le droit de pleurer non ?
- Doucement Zyra, murmura la dame. Je sais que c'est dur. Tu as le droit de craquer. C'est une expérience horrible mais il faut que tu tires de la force de ce malheur. Voyons Zyra, tu ne peux pas détruire à coup de pieds toutes les portes de l'orphelinat.



A quatorze ans, j'étais ce que l'on pouvait appeler, avec un très bel euphémisme, une adolescente en crise. Personne n'avait autorité sur moi, et j'en donnais sur tout le monde. J'étais vulgaire, bruyante, injuste, malhonnête, voleuse et bagarreuse. De mes parents, je ne gardai que les yeux noirs de mon père et la bague de fiançailles de ma mère. J'allais souvent voir la tombe de papa. Toute ma vie, je garderai gravé au fond de moi les derniers mots qu'il m'avait dit, avant d'entrer dans le sous-marin dysfonctionnant qui causa sa noyade. « Zyra, quand je rentrerai j'espère que tu auras appris tes leçons de stratégie Pokémon. Si à huit ans tu les connais déjà sur le bout des doigts, tu deviendras très vite la meilleure dresseuse de tous les temps. »
Face à la tombe, je m'assis en tailleurs et réarrangeai les fleurs sans trop faire attention.
- Tu sais papa, cette semaine il y a une bande de bâtards qui ont officiellement lancé une loi sur les combats et la capture de Pokémons. On a plus le droit de ne rien faire 'pa ! C'est de la merde, je ne pourrais jamais devenir dresseuse Pokémon ! Je … Je suis allé au mont Sélénite hier papa, comme quand tu m'emmenais quand j'étais petite. Quand maman allait bien. On s'asseyait dans l'herbe tous les trois et on regardait au loin des formes danser les nuits de Lune pleine. Tu m'avais dis que ces Pokémons qui dansaient étaient des petites fées venues de la Lune, qu'ils étaient gros et roses comme des marshmallows. Ça m'avait fait rêver quand j'étais toute petite. En y retournant hier, j'ai voulu les voir ces fées. J'en ai trouvé une, un petit peu perdue mais très gentille. Je n'ai même pas vraiment eu à la capturer à vrai dire, elle est venue d'elle même vers moi. Je dirais que je l'ai depuis avant la loi, mais au moins j'aurai un Pokémon gentil et je le protégerai. Il s'appelle Mélofée, et il est vraiment très fort !Je te fais des bisous papa, je t'aime fort. Et j'embrasserai maman pour toi promis.
Je me retournai, une larme menaçant d'apparaître devant un œil triste, et regardai la prochaine tombe.
- Salut maman. T'as des bisous de papa. Aller tchao.
J'en voulais à ma mère. D'être tombé dans l’alcoolisme à la mort de papa. De m'avoir laissée seule. De s'être tuée au volant à cause d'une bonne dizaine de verres de trop. Les yeux sombres, je quittai le cimetière en serrant très fort dans la main la Pokéball de Mélofée.



Personne n'avait parlé durant mon récit. L'assemblée était muette et semblait respecter mon vécu.
- Aujourd'hui j'ai dix-sept ans. Je poursuis des études d'infirmière Pokémon mais je m'entraîne beaucoup avec mon Mélofée. Certes c'est mon seul Pokémon, mais je ne suis pas une dresseuse à prendre à la légère. Je veux m'entraîner quels qu'en soient les risques, et je pourrais vous aider à soigner vos Pokémons. Je souhaite faire parti de votre famille, même si vous avez tous des têtes de cons.