Il y a des jours où je me demande sincèrement qui est le dresseur et qui est le pokémon. Aujourd’hui est un jour comme celui-là, alors que j’observe d’un oeil blasé Freyja s’engueuler copieusement avec un Loki au meilleur de sa forme. Ça couine, ça rugit, ça grogne, et je suis prêt à parier que ça s’insulte dans leur langage si expressif. Je jette un regard obscure vers un Irmin visiblement trop occupé à glander dans un coin du fleuve - ou à chercher les emmerdes avec un indigène du coin, lui, c’est un sacré fouille merde -, puis finit par assumer mon statut de dresseur. Je hausse le ton, interpelle l’un et ordonne à l’autre, fronce mon nez dans une veine tentative de paraître un brin sérieux, à défaut de l’être vraiment. Leurs cris s’évaporent en un instant, ne laissant que des billes d’un noir profond qui m’observe avec surprise. Ils clignent des paupières, mimant un état de choc ahurissant.

Avant de recommencer leur querelle comme si de rien n’était.

Ouais. J’ai aucune autorité, en fait. C’est une chose que me répétait souvent ma mère, quand j’étais gosse. Que je serais incapable de devenir un dresseur compétant. Elle n’a pas vraiment eu tord, puisque malgré le seul malheureux badge en ma possession, mes petits monstres refusent toujours de m’obéir. À croire que le fait de les avoir vus naître m’a intimement placé dans le rôle du grand-frère que personne n’écoute. Être le fils d’une éleveuse de renom pourrait avoir du charme, si cette dernière n’était pas sans cesse occupée dans son travail. Pour être honnête, mon enfance, je l’ai passé parmi les Pokémons de la pension. Tant et si bien que le Lippoutou de ma génitrice me paraissait être bien plus tendre avec moi que cette dernière. J’échappe un soupir, les mains sur les hanches et le désespoir au bord des lèvres. Non. Je ne serais jamais un véritable dresseur. Ces sales bêtes me le rappellent tous les jours, à grand renfort de rébellion d’enfant et de mimique sarcastique. Si. Je vous jure que Loki peut être sarcastique quand ça lui chante. Oh, n’allez pas croire que je les déteste, c’est même tout le contraire. L’affection que j’ai pour eux m'empêche de me prendre au sérieux lorsque je devrais être plus autoritaire. Et ça, je suis persuadé qu’ils en ont pleinement conscience. Freyja, je l’ai hérité de mon père, un peu avant son départ pour Hoenn. C’est un des meilleurs explorateurs de la région, vous savez. Il a beaucoup voyagé avant ma naissance, et a ramené quantité de pokémon extraordinaire à mes yeux. Mysdibulle en faisait partie. Aussi, lorsqu’il a commencé à s’ennuyer au milieu des terres verdoyantes de Kanto, il a fini par faire ses bagages. Je n’avais pas plus d’une dizaine d’année à l’époque, mais je n’ai jamais raté l’une de ses lettres depuis. Il a voyagé à travers le monde et m’offre encore aujourd’hui des récits à couper le souffle !

Mes yeux glissent sur un Loki dont les bajoues crépitent d’agacement. Lui, je l’ai rencontré dans la pension de ma mère. Un oeuf abandonné par un dresseur peu scrupuleux, lorsque j’avais douze ans. Si ma génitrice retrouva un maître digne de ce nom pour sa mère, elle m’offrit le Pichu en guise de challenge. Si je réussissais à dompter son sale caractère évident, je pourrais enfin parcourir le monde de Kanto et m’affirmer en tant que dresseur. Sans rire. Regardez le et osez me dire qu’elle ne l’a pas fait exprès. Clair qu’elle ne voulait pas que je me casse de chez nous. Vous imaginez la suite, hein ? J’ai pas bougé un putain de pied de mon lieu de naissance avant mes seize ans. C’est à cet âge là que j’ai rencontré Irmin, peu de temps avant l’application de la loi anti-combat. Le premier pokémon sauvage que j’ai attrapé. Et j’ai vite déchanté. Irmin, c’est le genre de pokémon à chercher les embrouilles où il n’y en a pas. Et à les trouver, en plus. Il est fort Irmin. Fort dans sa connerie, mais fort quand même.

Enfin, bref. Le temps passant, la loi fut établie deux mois après l’obtention de mon premier badge. Autant le dire franchement, je n’aurais jamais cru galèrer autant pour chopper un pin's. J’aurais pourtant dû m’en douter avec cette équipe de bras cassé, mais tout de même. Nous avons reprit une vie plus calme, loin de l'effervescence des arènes. J’ai même trouvé un job à la central, avant de déménager pour Azuria. Seulement, l’ennuie c’est rapidement fait sentir chez mes pokémons, eux qui étaient habituer à combattre des heures dans les hautes herbes pour les vider de leur trop plein d’énergie. Aussi, j’ai dû me résoudre à m’engager dans les voies obscures des combats illégaux et, bien que je n’aime guère cela, je les sens plus paisible depuis. Oui. Paisible. Je vous assure que là, ils sont vachement calme. Mes grandes mains essaient d’attraper cette boule de poile jaune qui essaie tant bien que mal de se battre avec Frey’. Les cris redoublent d’intensités, Loki grognant de plus belle devant l’air prétentieux affiché par Freyja. Pourtant, un couinement strident nous fait tous bondir de stupeur. Derrière nous, dans le lit de la rivière, git un Irmin tremblant de peur. Bordel, Irmin ! T’as encore cherché la merde avec un magicarpe ou quoi ? Mes iris anthracites s’arrêtent sur la gueule ouverte de rage du gigantesque poisson bleu qui perce les trombes d’eau face à nous, hurlant sa rage et préparant ce que je présume être une attaque dévastatrice dont ni moi, ni mes pokémons ne sortiront indemnes.

Eeeek. Ok. Donc là, c’est le moment de courir.